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Marc-Henri Arfeux au fil des jours : Publications, Nouveautés, Evénements
17 octobre 2014

ADMISSION A l'ACADEMIE RHODANIENNE DES LETTRES

J'ai été admis samedi 11 octobre à l'Académie Rhodanienne des Lettres, à l'occasion de son Assemblée Générale à Tarascon.

L'intronisation aura lieu le samedi 14 mars 2014 à Carouge, près de Genève, en Suisse.

 

 

 

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Vous trouverez ci-dessous un lien vers l'Académie Rhodanienne des Lettres :

 http://rhodanienne.canalblog.com

 

Cette Académie franco-suisse regroupe des écrivains et des artistes vivant sur le trajet du Rhône, indépendamment de la relation explicite et directe de leur oeuvre avec cet axe géographique. Cependant, la présence secrète du lac Léman habite souvent mon écriture, que ce soit dans la poésie ou le récit. Quelques rares textes seulement la mentionne de manière ouverte. C'est le cas de la nouvelle intitulée Conversation sur le Léman, lisible sur mon site :

http://www.marchenriarfeux.net/#!indits/cdo7

C'est aussi le cas du très bref récit que vous pouvez lire ci-dessous :

 

 

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Roman Instantané

 

Assise sur les galets qui tiédissaient, elle regardait, patiente et silencieuse dans le lustré du temps, l’émanation de l’autre rive. Celle-ci semblait se détacher de ses assises et s’avancer, infiniment venir à elle, tel un bateau figé dans les lointains vibrants de sa lenteur, l’un de ces longs et élégants vapeurs assurant la liaison aller-retour avec Lausanne et dont la silhouette mettait parfois de longues minutes horizontales à émerger de la distance avant d’entrer soudain dans une proximité vivante et scintillante qui, à chaque fois, la bouleversait, comme si un dieu ruisselant à barbe d’algues et de soleil était sorti des eaux avec tout son attelage piaffant et les puissantes sonneries de son triomphe ; et tout à coup, tandis que le navire d’un blanc de neige, virant de bord, passait au large de la côte, sa fine étrave lancée dans un envol au ralenti d’oiseau sauvage, de larges vagues roulées nageaient jusqu’au rivage et venaient exploser sur les galets, brouillant tous les repères de formes et de couleurs que les plus proches d’entre eux traçaient sous la surface, donnant le sentiment qu’une mosaïque aux tessons déchaussés venait d’être détruite, emportant à jamais l’étrange secret d’un œil et d’un sourire intemporels. Pourtant, en ce moment, le calme des eaux lisses n’était troublé par rien. Il était tôt et le premier bateau de la journée devait encore attendre à quai les quelques passagers qui prendraient place sur le pont découvert, face à l’espace très légèrement voilé où se lisaient les formes veloutées de l’autre rive. Le lac dans le matin coïncidait exactement avec la claire limpidité des deux syllabes où se glissait son nom, telles qu’elle les entendait, les réfractant spontanément dans la matière du paysage. « Léman », se disait-elle souvent en contemplant la pleine respiration des eaux étales, à peine plissées par la passée de souffles immatériels comme si les effleuraient nonchalamment les doigts d’une main sans poids, née du brillant de l’air.

Elle avait encore l’âge où l’objet d’une attente est le présent du monde. Généralement elle parlait peu, et son prénom de nuit n’empêchait pas sa préférence marquée pour les bonheurs du jour, plus particulièrement ce long moment pendant lequel tout se mettait en place, forme après forme, substance après substance dans le léger désert des matinées d’été. Tandis qu’elle observait le lac et les montagnes à l’arrière-plan, la transparence de l’heure se confirmait, laissant filtrer des salves de couleurs qui évoquaient les billes de son enfance jetées à pleines poignées dans les couloirs de la maison où elle avait grandi. Elle les suivait des yeux, recevait leur promesse et s’oubliait presque entièrement. Sa peau n’était plus une enveloppe étroitement enroulée autour du noyau rouge des muscles et des organes, mais une simple lisière suffisamment poreuse pour qu’elle en sorte à son insu et s’aventure parmi les choses avec une fluidité de loutre plongeant dans les eaux lisses d’une roselière. Sa demi-nudité perdait alors son sens habituel. Ses seins, ses jambes, ses hanches et ses épaules n’étaient plus les signaux vivants de sa féminité mais les passerelles qui conduisaient au monde, loin au-delà des genres et des désirs qui leur sont associés. Un homme qui par hasard se serait approché et aurait étendu les doigts pour la toucher n’aurait alors trouvé que la statue abandonnée de sa présence : l’espace d’une brève seconde, ce corps apparemment formé selon les seules lois sensuelles de la présence à soi par la jouissance lui aurait révélé son autre face, terrible et somptueuse comme les visages des visionnaires. Mais elle n’en savait rien, elle qui d’ailleurs ne refusait ni ne niait d’aucune façon la simple vérité du sang humain chargé de cris.

Ce matin-là, elle avait avec elle, posé sur les galets, les Minuscules romans qui tiennent au creux d’une main d’un auteur japonais qu’elle ne connaissait pas encore. Elle commencerait de les lire tout à l’heure lorsque le temps flottant qu’elle rejoignait actuellement serait passé. Elle était immobile, dans le silence ouvert d’un matin d’août. Elle regardait seulement et elle était déjà là-bas, dans le non-lieu dansant où ne cessait de s’avancer sans un mouvement la ligne floue de l’autre rive.

Elle avait beau n’avoir enduit sa peau que d’une fine couche de crème solaire, le parfum blond disséminé sur l’air avait suffi à attirer une guêpe qu’elle entendit soudain tout près de son visage. Instinctivement, elle la chassa d’un geste de la main et se tourna afin de voir où elle filait. Alors, elle perçut un détail qui avait échappé à son regard jusqu’à présent. Au bord de l’eau, quelque part sur la gauche, quelqu’un avait perdu un livre. Elle ne l’avait pas vu auparavant car il était resté noyé dans un creux d’ombre entre deux gros galets uniformément gris. Elle se leva et s’approcha pour constater qu’il s’agissait, non pas d’un livre ainsi qu’elle avait cru, mais d’un carnet dont la couverture noire était légèrement déformée. Sans doute était-il là depuis la veille et s’était imprégné d’humidité pendant la nuit. Agenouillée à la frontière de l’eau dont elle sentait le souffle frais glisser vers ses chevilles, elle en ouvrit la première page. Elle était vide. Soumis pendant deux ou trois jours au poids d’un dictionnaire, il retrouverait sa forme originelle et elle pourrait l’utiliser pour y prendre des notes ou pour y dessiner. Comme elle revenait à la place où l’attendaient les Minuscules romans, elle le feuilleta machinalement, pour le plaisir de contempler le défilement précipité de ses pages nues. Mais du milieu immaculé de cette espèce de cinéma rudimentaire surgit soudain la griffure sobre et incisive d’une écriture. Elle arrêta d’un doigt le mouvement des feuillets et revint à celui d’entre eux où s’étirait cette écriture. Bien qu’elle fût inclinée, étroite et resserrée, formant des lignes de rayures d’une régularité élémentaire, elle était parfaitement lisible. Le texte bref avait été tracé d’un jet sans nulle reprise. Il était anonyme, comme s’il venait du monde lui-même et non pas d’un esprit clairement conscient des mots qu’il avait formulés ; et en cela il ressemblait à l’ombre délicate et admirablement précise d’une herbe fine contre le sol, au tremblé d’un orage en haute montagne, ou aux striures d’un bloc de lave ou d’un fragment de tronc fossilisé, se disait-elle, tout en lisant ces quelques lignes étranges et laconiques, inscrites au centre du feuillet :

 

En ce matin d’issue

Le geste net

Aura pris forme de silence

Par le lointain de ce visage

Qui n’est d’aucun regard

Dans la tiédeur du temps.

Tu en reconnaîtras le nombre pur

A la calcination particulière de la buée

Comme tel gravé d’étoile

Dans le mortier de tout miroir.

 

© Marc-Henri Arfeux, Lyon, 26 Novembre 2006, all rights reserved

 

 

 

    

 

 

 

    

 

 

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