REMINISCENCES DU JAPON.
Le Japon n'est pour moi pas seulement un pays localisé dans l'espace-temps géographique que nous connaissons, mais d'abord et essentiellement un certain climat mental dont l'émanation peut se retrouver en tout lieu et toute heure selon les sollicitations du monde. Ainsi reparaît quelquefois aux croisements des pas que nous accomplissons chaque jour quelque chose de cette disposition intérieure qui s'ouvre, comme une baie vitrée au jardin qu'elle regarde, et nous fait traverser le seuil qui nous sépare des choses. Alors, arbres et pierres, chemins, pétales ou feuilles tombés sur la surface d'une table à la terrasse d'un café, mais encore sillage d'une ombre précédant ou suivant les pas qui la projettent à la surface d'un trottoir comme une légère poupée d'immatériel, tintement de la cuiller que quelqu'un près de soi repose sur une sous-tasse après avoir fait fondre un sucre, ou bien encore pure manifestation inattendue dans une formulation, comme celle-ci :
Pays désert, une femme,
S'appuyant au portail du pavillon d'automne,
Ainsi qu'une première neige à la montagne.
Matsumura Goshun, ( 松村 呉春, 1752-1811), disciple du peintre et poète Yosa Buson (1716–1784)
Le monde est alors ce chemin flottant où des révélations paraissent et disparaissent au fil des pas que nous accomplissons, chacun comme une pensée qui prendrait forme dans l'espace ou deviendrait le lumignon d'une temporalité aussi parfaite qu'elle est infime. Sans doute est-ce là le vrai silence où l'effacement désigne la parole. Elle n'est rien d'autre que cette intensité de la pâleur, ainsi qu'une lampe veillant l'absence, fidélité du seul.
L'indéfini livrant l'essence par l'indirect des lisières où le regard en suspension.
Konen Uehara 上原 古年 (1877-1940)
Rêvant la brume, il entre dans l'éveil,
Selon l'oubli des eaux,
Fumée de l'heure
Qui se dilue,
Chemin faisant par les saisons.
© Marc-Henri Arfeux, 19 Novembre 2014, all rights reserved