TAROT EN DOUZE POEMES SUR DES OEUVRES DE THIERRY LAMBERT
Thierry Lambert fait partie de ces artistes aussi merveilleusement simples, amicaux et ouverts que nourris de feu dans leur création. Quand on le rencontre pour la première fois, on ne croit pas ses yeux qu'un tel homme et de telles oeuvres soient possibles, tant la surprise ardente est totale et généreusement accordée.
Nous nous sommes vus pour la première fois le 3 octobre 2015, à Lucinges à l'occasion du cinquième Salon du Livre d'Artiste autour de Michel Butor et, à peine deux mois et demi plus tard, j'ai l'impression de le connaître depuis toujours. Simultanément, il conserve en son entier le souriant mystère de son être, et cette double capacité d'évidence et d'énigme ne fait que me rendre plus heureux de lui dédier amicalement à l'occasion de cette fête de Noël 2015, ce Tarot en douze poèmes, composé à son intention.
Nageuse entre les lignes,
Elle vient au jardin clair,
Pelant amoureusement le jour.
L'instant multiplié par le dédale
Tremble à ses yeux,
Chemin d'eau fraîche entrecroisée
Jusque au lointain de fine étoile
En haut d'inverse envol,
Oiseau traçant un cercle d'or
Au plus profond du très limpide.
Mardi 22 décembre 2015, 16h48
NAÏADE ET SON OPIUM
Buvant l'eau blonde et sa jumelle
En des chemins noués de saules
Et de visages errants
Troublant lumière et le buisson des heures,
Tournant, irrésistible et lente,
Autour du rosier sombre
Où git l'enfant de son oubli,
La voix dorée par l'invisible seul,
Appelant dans la nuit,
Nommant les seuils et tous les noms des portes
Au loin de soi,
Régnant sommeil.
Mardi 22 décembre 2015, 17h26
L'oiseau liqueur
Ecoute aux portes des feuillages
La lente maturation des heures
Qui se composent en ce miroir,
Devenant chair lustrale
En masque de blondeur.
La lune s'en étonnera,
Qui vient à son théâtre pâle,
Avec ses hortensias
Offrir l'amande à la fiancée.
Jeudi 24 décembre 2015, 13h34
Nageuse, ô marguerite
Insolite et féroce,
Ainsi que scarabée rhinocéros,
Marguerite améthyste
A blanc rayons de miel
Autour d'un bouton d'or
Dont on arrache, un après l'autre,
Les bras menus
Pour les fixer par des épingles
A l'ingénu de pain d'épices,
Coeur d'artichaut touchant au but,
Quand celle qui a la science
Et les baisers luisants
Se déshabille,
Offrant l'ardeur de double jeu,
Puis se dérobe.
Jeudi 24 décembre 2015, 13h45
Beau sein taillé par l'air,
Tu as l'ivresse du mont Fuji
Devenu pourpre un soir,
Lorsque la dame en a rempli la coupe
Où tout à l'heure songeait ma bouche.
Jeudi 24 décembre 2015, 13h53
Feu pur et bleu du végétal ensorcelé
Pressant l'ultime ampoule
Où ton image
Persiste au crépuscule.
Jeudi 24 décembre 2015, 13h56
Jongleur d'amour et de visage,
Le jaune et rouge gardien des eaux
Forme l'anneau d'ultime automne
Avant le feu
Qui danse avec la neige
Et les arceaux du gel.
Jeudi 24 décembre 2015, 14h01
Tu n'es pas celle que j'attendais
Dit le matin,
Mais la jeune fée se fait nuage,
Puis sapinière, puis sauge,
Rivière, jument,
Orage survenant à l'aurore
Quand ma poitrine est encore
Noire de lune et de lointain
Sous la tiédeur des doigts.
Jeudi 24 décembre 2015, 14h10
Jardins d'abeilles,
La tapisserie de braises,
De gouttes et d'oiseaux bleus
Comme les visages
Dans la mémoire des soirs de mai.
Fontaine aux cerisiers
Troublant leurs doubles d'un départ
Quand neige et cercles aggrandis
Sous le silence.
Jeudi 24 décembre 2015, 14h30
L'enfant désigne son visage
Aux fruits qui le soupçonnent
Et laissent glisser des larmes
Aux troncs ensanglantés.
Pus elle arrache enfin la robe
Inexistante et nue,
Marbrée de mauvais rêves,
Comme sels, aiguilles et cris violets,
Pour affirmer l'enfant solaire
A la croisée des jambes
Aux beaux genoux humant le ciel.
Jeudi 24 décembre 2015
Lunaire d'après-midi
Chantonne à la fontaine
A l'ombre des petits poissons d'azur.
Celle qui dessine au doigt dans la chaleur,
Poupées de sable pur brûlant d'oubli,
Chantonne à la fontaine
A l'ombre des petits poissons,
Les seins léchés longtemps jusque au sommeil.
Jeudi 24 décembre 2015, 15h11
Adieu, lèvres brûlés du long linceul,
Poupées mes douces,
Tissées de rouge,
Ensevelies sous le château des roses.
Vous revenez par ce brouillard,
Blason d'apesanteur où dort le sang,
Tandis que le chat neige
Observe au loin.
Adieu mes amoureuses,
Assassinées par le nuage
Qui emporta vos seins.
Je reste à ce tombeau de la rosée,
Brodant le fin trousseau de vos squelettes
En regardant venir le papillon de nuit
Qui enveloppera mes yeux,
Ma bouche et mes narines,
A l'heure du dernier feu changé en premier jour.
Jeudi 24 décembre 2015, 15h22
© Marc-Henri Arfeux pour les poèmes et Thierry Lambert pour les dessins