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Marc-Henri Arfeux au fil des jours : Publications, Nouveautés, Evénements
19 mars 2015

RECEPTION A L'ACADEMIE RHODANIENNE DES LETTRES

Samedi 14 mars 2015, j'ai été reçu au sein de l'Académie Rhodanienne des Lettres au cours d'une séance amicale et chaleureuse à Genève. A cette occasion, mon ami Hervé Bauer, poète dont l'oeuvre compte parmi celles qui explorenles lisières du langage et de l'étrange expérience d'exister, a dit un très beau texte consacré à mon travail d'écriture. J'ai ensuite pris la parole afin de présenter aux académiciens quelques éléments de réflexion consacrés à ma vision de la poésie. Ce sont ces deux textes que l'on trouvera ici, accompagnés de quelques photographies prises au cours de cette séance.

 

 

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UNE PURE PALPITATION D’ÉNIGME

 

Le mathématicien  Andrew  Wiles fut certain d’avoir démontré le théorème de Fermat  eu égard, dit-il, à l’élégance de son ultime équation. C’est en ce sens, où la beauté prouve la vérité, qu’on pourrait parler de l’élégance de l’écriture de MH Arfeux.

Cette œuvre, par les voies contiguës et, cependant, clairement séparées, de la poésie et de la prose, opère, selon les moyens propres de l’une et de l’autre, non pas une  saisie, prédatrice, mais bien  plutôt, frémissante, étonnée, une approche de la réalité. Celle-ci, alors, préservée dans sa pure palpitation d’énigme.

Si l’on considère le livre de poèmes intitulé « Patience de l’horizon » , le poète y tente moins de circonscrire un lieu que de le déchiffrer. Il ne s’agit nullement  d’épuiser, à la dire, la présence, mais d’y puiser, inaltérable, l’indicible. Cela requiert des usages poétiques  qui fassent droit au drame  fondamental qui se joue entre la parole et le silence. Le poème est là où cela « s’articule ».  A l’orée  des choses,  dans leur clairière et leur promesse. Poésie, oui, de l’advenir et,  partant, de l’attente…Anxieuse, patiente attente de louve avant la forêt des signes et des présages. « Tenant la soif entre ses dents ».  Ainsi l’écriture,  altérée comme amoureuse.  Ecrire, ici, est disposer  les objets votifs, la lampe, l’horizon  du visage, la rosée et les roses : liturgie.  La poésie touche au sacré comme à sa rive. Elle déborde, alors, en tel vers absolu où l’amour  et le meurtre s’éprennent l’un de l’autre : « Et tu souffles la flamme avant qu’elle te poignarde. » Ecriture du tremblement,  qu’éclaire parfois un soleil panique. Ecriture tremblée, dans l’annonciation de toute chose…

Le poème en éclats de « Lueur par le silence » réamorce la lecture.  On y entre comme en un seul jardin des supplices et des délices. Les cendres  cernent la chair .La chair de personne. Ecriture, donc, née de personne qui traverse l’écriture.  « …la lampe aiguë » éclaire, cruelle ,la chair qui « …tremble de lueur » . Qui donc à la veilleuse ? En ce jardin que l’enfance rend primordial, « L’enfant de la pâleur/N’a que sa robe et la forêt/pour entourer sa fuite. » Reste que, peur ou clémence, le poète adopte simultanément le point de vue de l’aube et du crépuscule, on l’a compris, le point de vue de la fuite du temps et de la fugue enfantine. « Elle passe entre les ronces,/Tenant contre elle,/Le mince ouvrage de sa fumée. »  Le poème, là encore, tremblant et tremblé, écrit à la lueur du silence, de l’enfance qui ne parle...d’une enfant rêvant, rêvée  « Comme une lampe émue/posée à terre. »  Le miroir traversé, le pays archaïque revient.

 «Patience de l’horizon » vient des rives et des dieux de la Méditerranée, de l’adoration de la lumière, que perpétue la poésie mitoyenne de Salah Stétié où se retrempe, éblouie, celle de Marc-Henri Arfeux. L’écriture de « Lueur par le silence », elle, filée à la lampe.

 

 

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C’est bien de l’élégance que ressortit, plus encore, la prose, chez MH Arfeux. Le récit intitulé « L’éloignement » en témoigne, dans le geste d’écrire, au-devant d’une révélation  qui exige  autant la forme que la formule.

Le narrateur s’apprête à habiter  une maison, seul, toute une année, selon la clause imposée par le propriétaire, inconnu, des lieux.  On n’est pas sans penser au contrat que, pour recueillir son héritage, doit respecter Martial de Mégrémut, assigné à résidence sur une île inhospitalière du Rhône, dans  « Malicroix », de Henri  Bosco. Mais, ici, pour étrange qu’elle soit et se donne à l’hôte, l’intrus, avant qu’une lente approche lui en livre, pour ainsi dire, la clé, la demeure, d’emblée exerce son charme. « La maison m’avait plu, pour ce qu’elle se trouvait très à l’écart, en position d’attente, à la lisière de la forêt. » Le récit se constituant, phrase après phrase comme un dispositif d’attente. D’où le frémissement, d’eau ou de pelage, tout au long, le bruissement végétal qui s’empare des êtres et des choses. Un je ne sais quoi d’amoureux et de fatal commandant à leur commerce. « Les roses brûlaient la lampe votive de leur parfum dans la lenteur de l’air, créant une île de transparence derrière laquelle se devinait l’émanation plus grave et plus obscure de la forêt. » Loin, finalement, d’habiter la maison, le narrateur s’en laisse hanter, comme d’une très ancienne vacance. C’est une épreuve qu’il doit traverser, non pas seulement  du fait d’une clause mystérieuse, mais de la loi impérieuse de l’écriture. Comme aimer, écrire est attendre et l’attente est une douce et inflexible injonction. Il faut tout entier s’y soumettre, c’est-à-dire se renoncer pour  la promesse. Seul l’absolu du visage entièrement la tiendra. Le visage comme la présence faite éloignement. La seule chose qui puisse lui être comparée est la brûlure d’une parole mystique retrouvée dans le carnet d’une inconnue, consumée de désert et de joie. Le visage de la femme aimée, le narrateur ne l’approchera pas plus, entre ses mains, qu’un astre lointain. Ou qu’une lampe que porte de chambre en chambre, la vestale d’un culte domestique en l’honneur d’une déesse errante.

Un enchantement saisit le texte .Et la lumière diffuse de la forêt est le filtre obscurément versé  par l’amour.  A tout moment, tout peut arriver : « De la forêt naissait une tentation qui s’avançait vers moi » ; on songe, avec André Breton, à cette phrase muette du film de Murnau : « Il passa le pont et les fantômes vinrent à sa rencontre. »

Cette narration impeccable, envoûtante et impeccable, si  elle enserre un secret, c’est pour le garder intact comme l’aura d’un visage perdu.

Marc-Henri Arfeux se tient dans le souffle suspendu de l’évidence, au départ de la poésie et de la prose qui s’éprouvent réciproquement comme chacune des voix qu’emprunte, pour avoir lieu, l’écriture.

Hervé Bauer

 

 

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Madame la Présidente,  Mesdames et Messieurs les Académiciens, cher Hervé Bauer, mes chers amis,

 

Il y aura bientôt 110 ans naissait à Carouge une petite fille que ses parents, tous deux français, prénommèrent Yvonne. C’est le petit fils de cette petite fille qui se tient aujourd’hui devant vous, non sans émotion.

A ma grand-mère, je dois notamment, du fait de sa naissance et de sa première enfance genevoise, la découverte de ce paysage qui est pour moi l’un des hauts lieux fondamentaux de mon émerveillement comme de ma vie intérieure, je veux parler, plus que du Rhône qu’il traverse et nourrit, du Léman, dont Byron disait qu’il est le plus beau lac d’Europe. Sans doute, le grand poète anglais songeait-il aux signes multiples : présence de la montagne, rives tantôt séduisantes, tantôt ténébreuses, château médiéval de Chillon qui, à ses yeux, donnaient à ce paysage valeur d’emblème majeur du romantisme au sens fort du terme, mais il ne pouvait manquer d’avoir senti et vécu avec ivresse la particularité la plus essentielle du Léman, celle qui justifie qu’à mon tour et à mon échelle il soit devenu l’un des blasons secrets de bien des poèmes, l’ouverture de l’intervalle.

Paysage monde, le Léman est aussi à mes yeux figure spirituelle du monde, sourire de l’être, avec quelque chose d’équivalent dans son genre propre à ce que disait Pierre Jean Jouve quand il écrivait de la haute Engadine qu’elle est un paysage chinois. N’aurais-je aucune raison biographique d’être venu de bonne heure sur les rives du Léman, et aurais-je eu la chance de m’y trouver un jour pour de tout autres raisons, la commotion, aussi profonde que fondatrice aurait sans doute été la même. Oui, paysage chinois, qui certains jours semble flotter au-dessus de sa propre plénitude en état de perfection, tel un dieu couché dont le sommeil est simultanément l’éveil à son plus haut degré, suspens  à l’état, pur dans le mystère, sourire de monde sereinement révélé dans la lumière.

 

 

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 Comme vous le devinez, si j’ai choisi de commencer  par cette évocation du Léman, c’est qu’il est à titre tout à fait personnel l’un des paysages ontologiques indispensables  à ce qu’on nomme la poésie. Loin d’être seul de son espèce dans l’écriture qui m’accompagne et me relie, il signifie bien autre chose qu’une simple référence dont l’intérêt serait seulement anecdotique. Parlerais-je aujourd’hui devant les membres d’une Académie Rhénane des Lettres, je l’évoquerai de la même manière. Comme le poète Salah Stétié, en qui je reconnais un véritable père spirituel et qui est l’un de mes plus chers amis, je crois que le poème est avant tout l’incendie des aspects. C’est de présence au monde qu’il est question, non de description ni de célébration factuelle et, justement, le trait fondamental de cette présence est que par son regard, elle est aussi question née de la rencontre entre l’esprit du regardeur et le monde, dans une double vigilance où tous deux regardent, s’avancent l’un vers l’autre, se détachent de leurs rivages pour former à la fois le fruit de l’être ici et par ce fruit le seuil de la question, comme en ce poème, dernier d’un livre intitulé Patience de l’horizon :

 

 

 

Ici, je suis au bord du monde, en ce brouillard

 

Qui s’ouvre et se dilue,

 

Parlant à la question

 

Demeurée bleue

 

Dans le regard de l’heure ;

 

Ici est l’intervalle,

 

Où la fraîcheur conduit les yeux

 

Parmi les nombres clairs ;

 

Ici est l’équilibre, ici l’afflux, le calme et le sourire,

 

Les voix très lisses et lumineuses portant très haut leurs corps,

 

La bague de seins vivants,

 

Le lent navire de la couleur,

 

Ici,

Dans l’axe de l’étoile.

 

 

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La question du poème commence par une affirmation, position qui n’est paradoxale qu’en apparence, si l’on songe que c’est d’abord d’être avec ce qui est, de l’accueillir en se portant vers lui, qui seul peut donner forme à la question. Comme j’ai pu l’écrire au début de l’ouvrage que j’ai consacré à Salah Stétié dans la collection Poètes d’Aujourd’hui, des éditions Seghers, les poètes sont des contemplatifs en acte. Il faut d’abord être là, avec une telle intensité vacante que, peu à peu, l’esprit et le corps, se détachant de leur centre, sans cesser d’être au lieu de leur présence, s’ouvrent à l’avant d’eux-mêmes.

Ce trajet instantané, qui n’est ni d’oubli, ni de rupture, ni davantage désertion de soi, permet alors une participation intime par transparence à la substance des choses et, par elles, à leur être propre, jusque l’essence. Etre au monde est cela : entrer dans cette veille où par l’œil et la pensée désamarrée de ses préoccupations aussi bien concrètes que théoriques, atteignent ensemble ce point d’invisible sans pesanteur, où elles sont vague avec la vague, chemin de l’air dans le chemin de l’air, visible avec le visible, offrande selon l’offrande. En un sens, le poème est déjà presque entièrement tissé dans cet instant qu’on pourrait qualifier de phénoménologique, mais qui est à mon sens infiniment plus, pour ce qu’il signifie encore un éveil, une communication entre ce qui n’est plus le seul et pauvre moi, mais ce que certaines psychologies spirituelles nomment le soi et que j’oserai appeler le soi du monde, l’un et l’autre demeurant eux-mêmes dans cet enlacement paradoxal où conscience et substance se superposent, s’échangent et s’éclairent sans se perdre, comme l’eau proustienne de la Vivonne dans les carafes mises à rafraîchir au sein de la rivière. Cette métamorphose par translucidité réciproque fait apparaître la question.

Celle-ci n’est pas, comme on le croit souvent à lire les philosophes, ou plus exactement à les lire mal, convocation hautaine et arrogante d’une raison impérieuse qui appellerait le monde à la barre et le sommerait de se justifier en termes clairs et définitifs, mais suggestion issue de la chair même de ce qui est. Cette question, inlassablement, le poème la reprend, une fois que l’expérience qui le fait naître se réunit dans le verbe, selon un lent chemin de la patience, quelquefois, par miracle, en un surgissement aussi soudain qu’une aurore formant son feu à la lisière du vide.

Derrière la fine substance du monde diurne qu’il habite, ce monde où luit la bague de seins vivants et passe le lent navire de la couleur, le poème est en effet en quête d’une étoile, et c’est aussi de nuit, parfois même d’entêtement obscur qu’il se nourrit, comme en cette mystérieuse page de Rilke, citée par Gaston Bachelard dans La Terre et les rêveries du repos, où l’auteur et des jeunes filles goûtent « au lait noir d’une chèvre nocturne ». Gardien d’une vigilance, d’une attente et d’une interrogation, le poète se tient aussi dans une maison tout à la fois précaire et solide, qu’elle soit couverte d’un toit, ou simplement posée à ciel ouvert à l’épaulement d’une falaise. Il y est seul, avec pour unique instrument la lampe de sa fidélité, quelquefois, par don d’énigme, une compagne d’ombre, son double et sa sœur, qui n’est pas simplement une amoureuse, mais aussi manifestation de soi en anima :

 

Tu es la sœur de mon silence,

La très lointaine à mon épaule,

Promesse, Ô ma bougie,

Patience aux mains gravées d’étoile

Selon le chiffre d’une ortie.

 

Par toi, l’eau noire de cette ampoule qui est pureté

Mordue d’amour,

L’écartelé de ces lueurs,

Le gouffre et le feuillage,

Et la torsion des linges au point du jour,

 

Ma sœur dans l’incertain.

 

Pour autant, en sa solitude, selon ses chemins d’absence et d’attente, le poème est attestation, même à l’heure nocturne où il subit l’épreuve du plus grand désert. Quelle que soit en effet la réponse, qu’il y ait ou non une réponse, le monde n’est pas moins là, présent malgré la neige, la brume et les ténèbres. S’il sait veiller assez longtemps avec la pierre du gel qu’est aussi la lampe, il sait au moins qu’il y aura un matin et que, par ce matin, sera donné le beau visage inexplicable et à jamais injustifié qui par cela possède le don le plus précieux, ce beau visage fêlé d’azur et de lumière en unité :

 

Sur le rivage de tout à l’heure,

Apparaîtront ses bagues, et les colliers,

Comme dés masqués à l’aventure,

Galets veinés d’échos au répandu de l’apparence

Par nombres et  lettres inconnues

Disséminant leurs clés, le beau visage,

Félin fondamental et nu

De l’invisible

 

A fleur de liesse.

 

 

Marc-Henri Arfeux

 

 

 

 

 

 

 

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